Oublié depuis le 18e siècle, le chalumeau est redécouvert par certains amateurs de musique baroque. Ce petit instrument en buis, qui évoquerait presque une flûte à bec, est en réalité l’ancêtre de la clarinette. Il produit un son peu puissant mais chaud et velouté, apprécié par les musiciens comme par le public.
Avez-vous déjà entendu jouer du chalumeau ? C’était la question posée par Claude Nadeau et Myriam Carrier pour chatouiller la curiosité du spectateur et lui donner envie d’assister à leur concert « pour orgue et chalumeau », le 10 mai dernier, à Carnac (Morbihan). Le chalumeau ? Non, pas cet outil qui permet de réaliser une soudure. Mais un petit instrument à vent, ancien et oublié, et retrouvé par quelques passionnés de musique baroque. Parmi eux, Myriam Carrier, clarinettiste à l’orchestre national d’Île de France. Encouragée par Claude Nadeau (elle-même organiste et claveciniste passionnée de baroque), avec qui elle travaille régulièrement, elle a commencé à jouer du chalumeau au début de l’année 2018 et dit être tombée en amour avec cet instrument. Elle apprend en autodidacte mais ne se sent pas pour autant dépaysée, puisque les doigtés ressemblent au premier registre (c’est-à-dire aux notes les plus basses) de la clarinette, ainsi qu’à ceux de la flûte à bec.
Un voyage dans le temps
Ecouter le son du chalumeau, c’est faire un bond en arrière dans le temps, à l’époque de la musique baroque. Cet instrument à vent est doté d’un tube à perce cylindrique et d’une anche simple battante. Il a été utilisé par Vivaldi ou Telemann, par exemple, ou encore par Monteverdi, notamment dans l’Orfeo. Il dispose d’une tessiture peu étendue : un octave et demi, c’est-à-dire une douzaine de notes seulement. A l’époque baroque, on compensait cette petite tessiture en jouant avec toute la famille des instruments. La famille des chalumeaux, par exemple, comptait 5 instruments de tailles différentes. Et la musique composée était adaptée à cette contrainte.
Aujourd’hui, les musiciens comme Myriam Carrier remettent en lumière ce répertoire spécifique ou adaptent des pièces pour qu’elles soient jouables avec le chalumeau. Pour elle, jouer d’un instrument ancien est une démarche particulière et une expérience différente de celle que l’on peut avoir avec un instrument moderne. Le contact avec le bois est très charnel. On dirait que tout l’instrument vibre et non pas seulement l’anche, raconte-t-elle. Et si ce n’est pas un instrument très virtuose, il est en revanche très lyrique.
Dans l’atelier
Il reste très peu d’instruments d’origine, probablement moins de 10, explique François Masson, luthier à Port-Louis (Morbihan).
Facteur de clarinettes, il est l’un des deux seuls luthiers qui fabriquent des chalumeaux en France. On commence par faire des restaurations et puis à force, on est amené à fabriquer.
Le chalumeau est fabriqué en buis, un bois clair, dur au touché et légèrement rugueux. L’arbre doit avoir 100 à 200 ans d’âge et, après la coupe, il doit sécher pendant au moins 8 ans. Une technique ancienne consiste, avant le séchage, à faire tremper les pièces dans l’eau pendant une ou deux semaines, raconte François Masson. Cela permet de drainer la sève et de gagner 3 à 4 ans sur le séchage. En outre, le bois ne se fend pas quand on le travaille car cela enlève les tensions qui se trouvent à l’intérieur. Avant d’être travaillé, le bois est également trempé dans de l’huile de lin. Cela évite qu’il chauffe et qu’il se fende.
Un luthier qui fabrique des instruments anciens exerce plusieurs métiers, explique François Masson. Il n’existe en effet pas d’outil adapté. Il doit donc les fabriquer lui-même et se faire tourneur, joaillier, soudeur… La fabrication de l’instrument, c’est seulement la dernière étape du travail.
Actuellement, un des plus gros problèmes que rencontre François Masson dans son travail est de trouver du bois qui convienne. Le buis est en effet la proie d’un parasite, la pyrale du buis, qui mange le feuillage et fait mourir l’arbre avant maturité. Même si ce n’est pas le cas aujourd’hui, il pourrait un jour connaître une pénurie. Pour entretenir son stock, il recherche du bois en permanence, dans les haies, les châteaux…
L’évolution vers la clarinette
Au final, le chalumeau n’a pas été utilisé longtemps seul. La clarinette a en effet émergé dès la fin du 17e siècle à Nuremberg, inventée par Johann Christoph Denner (1655–1707), qui a ajouté au chalumeau un pavillon et deux clés. Le chalumeau a ensuite continué à être joué parallèlement à la clarinette, avant de tomber en désuétude. C’est la retour au goût du jour du baroque, dans les années 80, qui a remis en lumière les instruments anciens, dont il fait partie. On ne joue pas de baroque avec une clarinette moderne, dit Myriam Carrier. S’intéresser à ce répertoire conduit donc naturellement à redécouvrir des instruments de cette époque.
François Masson observe un développement en France, notamment chez des musiciens qui ont une formation classique et des professeurs qui veulent enseigner. Comme ce sont des instruments moins stables, il doivent être ajustés en permanence, donc il faut de la pédagogie et une collaboration entre le musicien et le luthier, observe-t-il. Une manière différente d’envisager la musique mais c’est comme un nouveau monde qui s’ouvre à moi, conclut Myriam Carrier.
Pour entendre le son du chalumeau : Concerto en Ré mineur (Teleman), Concertos pour chalumeau.
L’anche du chalumeau
L’anche du chalumeau est une anche en roseau. Elle est dite « battante » parce qu’elle vibre contre un corps solide, par opposition aux anches libres qui vibrent dans une ouverture (comme pour l’harmonica, par exemple).
Sur le chalumeau, l’anche se trouve sur le dessus du bec ; elle est en contact avec la lèvre supérieure du musicien. Elle a gardé cette position sur les premières clarinettes et c’est Heinrich Bärmann qui, en 1810, a retourné le bec, plaçant l’anche au contact de la lèvre inférieure, telle qu’elle est aujourd’hui.
Myriam Carrier
Née au Québec en 1980, Myriam Carrier a commencé ses études par le piano et la flûte à bec. Elle a ensuite étudié la clarinette, parce qu’elle trouvait plus sympa de jouer avec les autres, alors que le piano est plutôt un instrument de solitaire.
A l’origine du chalumeau
« Chalumeau » vient du nom latin calamus, qui signifie roseau. A l’origine, il a servi à désigner indifféremment toute la famille des instruments à vents. Ce n’est qu’avec le temps, et au fur et à mesure de l’évolution des instruments eux-mêmes, que différents noms ont été créés pour la clarinette, la flûte, le hautbois… Le nom de « chalumeau » est resté pour désigner ce plus proche ancêtre de la clarinette, ainsi que le registre grave de cette dernière.
Pour expliquer sa provenance, deux hypothèses cohabitent. Soit il serait une flûte à bec à laquelle on aurait rajouté une anche. Soit il serait une partie de la cornemuse (justement celle qu’on appelle chalumeau), qui aurait été « débranchée ».
François Masson
Après ses études à l’école de Newark, en Grande Bretagne, François Masson se situe avant tout dans le mouvement de la facture moderne d’instruments à vent. De la mécanique de précision. Il travaille d’abord dans un atelier à Paris, où il est amené à faire de la restauration d’instruments.
Il rencontre alors un facteur de hautbois à Angoulème, qui lui fait découvrir le baroque. Il joue ensuite les « rats de musée » à Paris, Berlin, Bruxelles… et réalise des copies d’instruments anciens. Je ne comprenais pas ces instruments « brinquebalants », mais je faisais face à une demande de l’époque. Son site : www.fmasson.com